Communiquer sur « rien » : est-ce possible ?

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Communiquer sur Rien, parler de Rien, créer un scénario autour du Rien, est-ce possible ? Oui, et avec cet exemple, vous constaterez que le message est loin d’être “vide” de sens.

Etude de cas : déconstruction d’une campagne publicitaire sur le “rien”, pourquoi ? Comme le dit Jean-Marie Floch* “Venons-en maintenant aux étapes par lesquelles passe la production de la signification d’un objet sémiotique, c’est-à-dire à la constitution progressive d’une signification”.

Quand Volkswagen communique sur « rien ».

Coup de cœur pour ce spot publicitaire et sa richesse sémantique !

La publicité télévisuelle a dû se réinventer ces dernières années, une tendance déjà perçue par Jacques Séguéla dans les années 90. Et de nos jours, la télévision est clairement délaissée au profit des réseaux sociaux, des Netflix and co.

Certaines campagnes arrivent à se démarquer et à faire preuve de créativité comme celle dont je vais vous parler ici.

Contexte :

Nous sommes en 2017, l’agence DDB réalise un film publicitaire pour Volkswagen

  • Le brief : vanter les nombreuses technologies d’assistance de ses véhicules qui protègent les conducteurs et les piétons.
  • La contrainte : les sujets liés à la technologie sont complexes et déjà abordés par la concurrence.
  • Objectif : faire passer un message “technique” avec simplicité et fluidité, tout en se démarquant.

 

“Ode au rien” un choix stratégique.

Le plus flagrant est que nous sortons là des codes habituels : une voiture qui circule sur des routes sinueuses dans des cadres magnifiques (sans aucun autre véhicule) ou dans de grandes villes judicieusement choisies pour évoquer le fort côté urbain. Les focus sur la mécanique innovante, le design et les crash tests. Les stars qui prennent le volant et incarnent la marque en mode “influenceur”… 

Approche sémiotique…

J.M Floch l’évoque avec les différentes valorisations que l’on trouve traditionnellement : 

  • Valorisation “pratique” : confort, fiabilité, technicité
  • valorisation “existentielles” : la vie, l’aventure
  • Valorisation “ludique” : le luxe, le raffinement
  • Valorisation “critique” : le rapport qualité/prix

Dans le cas précis, nous oscillons entre la valorisation “pratique” qui intervient à la toute fin mêlée à la valorisation « existentielle » qui occupe les trois quarts du discours, la subtilité est que l’ ”objet” que l’on valorise est le Rien ! On ne comprend qu’à la fin qu’il s’agit d’une marque de voiture.

Sortir du cadre c’est déjà un parti-pris, c’est même un choix stratégique. Voyez plutôt :

 

Structure et composition scénographique : une harmonie parfaite !

Observons les éléments (ou signes) de cette publicité, pour déceler le mécanisme mis en place et comprendre les choix qui ont été faits :

  • Bande son : simple, un seul instrument le piano, un style assez enfantin, rassurant et drôle d’une certaine manière “La tartine de beurre” de Mozart (a priori) qui évoque une gestuelle très légère, pour parler d’un sujet qui l’est beaucoup moins. C’est le seul son que l’on entend, à l’exception du freinage d’urgence à la fin et de la voix “off”.
  • Le visuel : des scènes de la vie quotidienne, des personnes d’âges différents dans des situations variées, et parfois même des personnages très jeunes, qui ne sont pas en âge de conduire (aucun d’eux n’est en voiture, sauf le dernier !) l’identification se fait sans ciblage particulier. 
  • La voix : une voix d’homme, rassurante, paternelle, une tonalité calme et posée.
  • Le texte : il apparaît à la fin du film, seul sur fond noir avec une accélération soudaine qui rompt avec la lenteur du reste du film.

 

Analysons de plus près ce qui compose cette publicité et à y voir de plus près les symboles et les messages subliminaux sont très nombreux !

rien ddb volkswagen étude de cas

Scène N° 2

Construction du sens : la contradiction comme fil conducteur

L’intro : écran noir « rien ne se compare à rien ».

Ici, on ne sait pas de quoi il s’agit, c’est là que l’accroche se fait (ou pas) le média télévisuel à l’avantage d’être moins illusoire que le web par exemple ou d’un geste sur l’écran situé à quelques centimètres, on passe à autre chose.

Les scènes :

  1. « Rien, c’est de là que tout se crée » Le discours s’amorce, avec un début mais pas n’importe lequel, la création du monde ! (rien vs tout)
  2. « on ne le voit pas » une femme observe l’extérieur depuis sa fenêtre, visiblement en pleine campagne la brume envahit tout
  3. « mais rien est partout » un jeune homme ouvre un frigo désespérément vide(nulle part vs partout)
  4. « c’est beau » : gros plan sur des traces de peintures blanches observées par une vieille dame qui sourit « rien » il s’agit d’un tableau exposé dans une galerie quasiment vide et très lumineuse.
  5. « mais c’est toujours un bon début » : une jeune femme s’apprête à rédiger un article dans une pièce sombre cette fois-ci, la page blanche et le curseur qui clignote dans l’attente du premier mot, elle commence à écrire on le devine avec le plan qui la filme de loin, le soulagement… exit la page blanche ! (blanc vs noir)
  6. « on peut vivre de rien » : une femme qui se tient sur un rocher devant une étendue d’eau, elle se débarrasse de ses vêtements, un écho au fameux dicton « vivre d’amour (induit par la nudité ici) et d’eau fraîche », autrement dit de pas grand chose ?
  7. « croire en rien » : un jeune punk qui marche dans la rue et porte un blouson « no future » et pourtant il est en pleine discussion avec un ami, observés par un vieil homme. (futur vs passé)
  8. « rire pour rien » : un homme entouré d’autres personnes dans un ascenseur se met à rire, il est le seul. Les autres restent stoïques mais il se démarque des autres et donne à l’austérité de cette scène un peu de lumière, (austérité vs gaieté)
  9. « rien c’est souvent ce que nous faisons de mieux » un homme sur un matelas pneumatique qui flotte sur l’eau, seul, les bras étendus de chaque côté, détendu, seul au monde ! (faire vs ne rien faire)
  10. «  ne rien dire, veut souvent tout dire » deux jeunes ados se regardent lors d’une soirée sans oser s’adresser la parole, mais la jeune fille esquisse un sourire ; le message est passé. (rien dire vs tout dire),

 

Cassure/discontinuité du discours

Temporalité : accélération soudaine du tempo comme la montée d’adrénaline qui survient dans une situation de stress et le rythme cardiaque qui s’emballe.

Tonalité : changement d’intonation de la voix qui devient plus grave, inquiétante « rien c’est quelque chose » on voit une voiture on entend un coup de frein puis sur un ton plus apaisé « c’est même la meilleure chose qui puisse vous arriver ». (rien vs quelque chose) 

Musique : courte pause durant cette scène pour laisser place au bruit provoqué par le freinage.

Visuel : le coup de frein évite une collision avec une auto-école, est-ce un hasard ?  Il s’agit d’un jeune conducteur, le conducteur de demain. Apparition des véhicules de la marque … enfin !

Texte : il apparaît furtivement, des phrases courtes, blanches sur fond noir qui défilent si vite qu’elles sont à peine lisibles. Arrêt sur une phrase, le slogan “Demain démarre aujourd’hui” (demain vs aujourd’hui)

Fin : écran noir avec le logo Volkswagen (signature)

 

Si on schématise :

schéma discursif

Ça y est, nous sommes arrivés à la conclusion et au message final : on comprend le cheminement, les pièces du puzzle se mettent en place, tout est clair !

La contradiction sémantique et visuelle est le fil conducteur de ce discours.

 

 

Il ne se passera « rien », promis !

On comprend que les créatifs sont partis du résultat pour construire le discours :

rien : « c’est même la meilleure chose qui puisse vous arriver ». 

Sans même évoquer toute la technologie développée par la marque, on comprend tout son intérêt, et c’est bien là l’essentiel.

La promesse du Rien : Il ne vous arrivera rien ni aujourd’hui ni demain, ni à vous, ni aux autres, vous êtes protégés qui que vous soyez, ici et ailleurs, tant que vous choisissez Volkswagen. 

 

 

Sources et biographie :

* « Sémiotique, marketing et communication sous les signes, les stratégies » Jean-Marie Floch édition Puf.

** « La publicité » Jacques Séguéla, les essentiels Milan, édition Milan.

Les images de cet article sont issues du film publicitaire Volkswagen | rien réalisé par l’agence DDB.

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